Les 8 journées de combats
Avant d’entreprendre le descriptif des huit jours de combats, nous souhaitons effectuer trois remarques à titre liminaire :
1Le descriptif des combats s’avère un exercice difficile car la relation d’événements militaires réels est toujours délicate à appréhender par le lecteur qui ne connaît pas par hypothèse les lieux de la bataille. Ainsi, la référence aux cotes numérotées rend parfois le texte un peu aride, mais cette méthode ne peut être éludée. D’autre part, ces événements réels ne peuvent naturellement pas être « romancés », le descriptif des combats constitue inévitablement un récit chronologique laissant peu de place, autant que faire se peut, au lyrisme. 2Il faut signaler que ce sont les faits du 3e bataillon qui ont davantage retenu l’attention dans ce site. Le 3e bataillon fut en effet celui qui conduisit l’offensive principale sur le Belvédère. L’action des 1er et 2e bataillons fut également déterminante et leurs combats ne peuvent certainement pas faire l’objet d’une hiérarchie avec ceux du 3e bataillon ; le deuxième bataillon sera en particulier totalement décimé. Nous avons par conséquent relaté leurs faits d’armes aussi fidèlement que possible sur la base des informations en notre possession.Toutefois, tant le livre du général Chambe que celui du général Douceret (qui constituent les deux ouvrages de référence écrits après la guerre sur ce sujet) insistent davantage sur l’action conduite par le 3e bataillon. En particulier, le binôme formé par le commandant Gandoet et le lieutenant Jordy tient une place quasi-centrale dans les combats. Cela tient sans doute à la personnalité charismatique de son témoin principal, le commandant Gandoet (que l’histoire a retenu comme « l’homme du Belvédère »).
Outre sa présence sur le théâtre des opérations, Gandoet fut sans doute, parmi les officiers supérieurs survivants, le plus « communiquant » après la guerre sur la bataille du Belvédère et ce jusqu’à sa mort en 1995. S’agissant du lieutenant Jordy, le général Chambe retient son nom pour le donner à l’un des chapitres de son livre (chapitre 8 – Les braves du lieutenant Jordy). Seul officier ayant fait l’objet d’un tel traitement, le choix effectué par l’auteur du « Bataillon du Belvédère » n’est certainement pas dû au hasard. En effet, le rôle du plus jeune officier du 4e R.T.T., 29 ans au moment des faits, fut déterminant dans la percée de la ligne Gustav.
En outre, tué le jour de la relève du 4e R.T.T. (voir la rubrique de ce site « La Relève du Belvédère, le 4 février 1944), Jordy incarne complètement le martyrologe du 4e R.T.T. (expression employée par le maréchal Juin dans « La Campagne d’Italie » à propos de la mort de Jordy). Cette situation ne doit pas minimiser les comportements non moins héroïques des Tixier, Bouakkaz, El Hadi et de tous les autres soldats et officiers morts sur le sol italien. Le comportement du capitaine Tixier tient en particulier une place tout à fait exceptionnelle dans ce récit des faits d’armes du Belvédère.
Il est malheureusement impossible de citer tous les noms des combattants. Le présent site a bien pour vocation, nous le rappelons, d’être enrichi par les contributions et témoignages des internautes.
3Les pages ci-après constituent une simple tentative de synthèse des documents et ouvrages existants. Des lacunes demeurent et cette synthèse comporte certainement quelques erreurs. Il appartiendra donc aux internautes de la commenter. Grâce à Internet, cette relation des faits d’armes pourra être enrichie, améliorée et corrigée.Cette synthèse repose essentiellement sur le livre du général Chambe, complété par le journal de marche du 3e bataillon du 4e R.T.T. qui a servi de base pour le chapitre 8 du livre du général Douceret consacré à Gandoet.
Le livre du maréchal Juin sur la campagne d’Italie (voir la bibliographie) s’est avéré très utile (notamment sur les aspects stratégiques) ainsi que les écrits du commandant Gandoet réalisés après la guerre sur l’affaire du Belvédère.
La stratégie des américains
Face à la ligne Gustav, les alliés sont parfaitement conscients qu’une attaque frontale dans les Abruzzes sera difficile.
Churchill exige ainsi la mise en place d’une opération amphibie au dessus de la ligne Gustav et proche de Rome doublée d’une tentative d’enfoncement de la ligne Gustav par le sud. Il s’agit toujours de l’idée de la tenaille chère à Churchill.
Avec un peu de retard sur le calendrier initialement prévu, les Alliés débarqueront à Anzio le 22 janvier 1944.
Clark a donc mis en place un plan en 3 actions successives :
- le débarquement à Anzio (opération Shingle)
- l’attaque du massif montagneux du Maio après le franchissement du Garigliano par le 10e corps britannique
- l’attaque au nord-est de Cassino par la 34e division américaine en liaison avec le C.E.F.
Clark est encouragé par la prise du Monte Trocchio par la 36e division d’infanterie américaine le 14 janvier 1944 et par les succès de la 2e D.I.M. du Monte Pantano, de la Mainarde et du Monte Santa Croce.
L’offensive débute le 17 janvier 1944. Les 56e et 5e divisions britanniques parviennent à franchir le Garigliano, mais leur progression sera stoppée par une contre attaque allemande.
Puis, la 36e division américaine du Texas se lance à l’assaut de Cassino le 20 janvier 1944 et tente de traverser le Rapido à San Angelo. Cette tentative va se transformer en carnage pour l’armée américaine qui essuiera un échec cuisant face au 104e régiment de grenadiers panzers et au 71e régiment d’artillerie allemand. 1681 soldats sont mis hors de combat (141 tués, 665 blessés et 875 disparus). Ces pertes secoueront l’opinion américaine et entraîneront une enquête du Congrès à l’encontre de Clark.
Devant cet échec, et après trois jours de combats, Clark donne l’ordre à Juin de prendre le Belvédère au nord-est de Cassino le 23 janvier 1944. Clark ne retient pas l’idée de Juin d’attaquer en direction d’Atina. Juin considère en effet que cette manœuvre de diversion manque d’envergure et qu’elle ne constitue qu’un « débordement à portée de fusil« . Juin est conscient du délai extrêmement court pour lancer l’assaut qui obligera les soldats à une longue marche pour parvenir sur les lieux de la bataille. Juin réalise également que la prise du Belvédère donnera lieu à des combats acharnés dans les montagnes qui saigneront à blanc ses effectifs. Monsabert est également parfaitement avisé du sacrifice à venir de ses hommes.
Il déclare à Juin (extrait du « Bataillon du Belvédère ») :
Malgré leurs réserves sur cette décision prise incontestablement à la hâte et dont ils doutent de l’intérêt stratégique et humain, Juin et Monsabert sont des militaires et exécuteront l’ordre de Clark.
La manœuvre de diversion de Clark est relativement simple : les Français, Tunisiens et Algériens, devront percer la ligne Gustav, occuper les sommets du Belvédère et du Casale Abate et contraindre ainsi les Allemands à colmater la brèche ouverte. Cette diversion permettra de favoriser l’offensive américaine concomitante sur Cassino.
Le général de Monsabert a choisi le 4e R.T.T. commandé par le colonel Roux pour percer la ligne Gustav. Le 4e R.T.T. sera appuyé par un escadron du 7e Régiment de Chasseurs d’Afrique du colonel van Ecke, une compagnie de Sherman prêtée par Clark et six groupes d’artillerie (deux canons de 105 et quatre canons de 155). Le 4e R.T.T. pourra être renforcé par des détachements du 7e R.T.A. et du 3e R.T.A. Deux bataillons du 3e R.T.A. seront chargés d’occuper la vallée du Rio Secco face à Belmonte. Les blindés du 3e spahis algériens (colonel Bonjour) devront établir en aval un rempart d’artillerie face au village de Cairo tenu par les Allemands.
Monsabert et Roux bénéficieront également d’un soutien de l’aviation. Bien qu’affectés en totalité à l’offensive américaine sur Cassino, deux groupes d’avions bombarderont l’Olivella et le Belvédère un quart d’heure environ avant l’attaque française.
Il est important de souligner que le rôle de l’artillerie sera tout simplement déterminant dans les combats. L’artillerie apportera un soutien ininterrompu aux assauts des tirailleurs. Sans elle, la prise du Belvédère et l’enfoncement de la ligne Gustav eut été impossible pour la 3e D.I.A.
Objectifs assignés au 4e R.T.T.
La décision de Clark, prise avec un préavis de 48 heures seulement, va obliger les hommes de la 3e D.I.A. à réaliser une marche de près de 24 heures afin de parvenir sur la zone du Belvédère. A l’aube du premier jour des combats, les hommes se lanceront à l’assaut du massif tenu par les Allemands, avec des kilomètres de marche en montagne accumulés dans les jambes.
Le général Chambe écrit dans le « Bataillon du Belvédère » :
Le colonel Roux choisit le 3e bataillon du commandant Gandoet pour prendre les positions du Belvédère.
Les objectifs ci-dessous sont arrêtés pour le 3e bataillon :
- objectif préliminaire : prise de la cote 470 et de Casa Lucience
- objectif n° 1 (O1) : prise de la cote 681
- objectif n° 2 (O2) : prise de la cote 862
Les objectifs ci-dessous sont arrêtés pour le 2e bataillon :
- objectif préliminaire : prise de la cote 382
- objectif n° 1 (O1) : la prise de la côte 700 et de la cote 721
- objectif n° 2 (O2) : prise du Casale Abate (cote 915 et 875)
La 9e compagnie (capitaine Denée) est désignée par Gandoet pour l’objectif préliminaire du 3e bataillon.
La 11e compagnie (lieutenant Jordy) est désignée par Gandoet pour l’offensive principale soit l’O1 et l’O2 ; la prise de la cote 862 signifiera en effet que la ligne Gustav est percée.
Le 24 janvier 1944, veille du premier jour des combats, le colonel Roux réunit les commandants de compagnie pour étudier les modalités de la prise du Belvédère et de l’enfoncement de la ligne Gustav. Quelques photographies aériennes ont été prises et son analysées par les officiers.
A cette date, les mulets ne sont pas encore parvenus sur les lieux de la bataille. La décision est alors prise de charger les hommes pour le transport des munitions et de faire l’impasse sur les vivres. Décision lourde de conséquence pour les hommes, car ces derniers vont non seulement être lourdement chargés mais la priorité étant donnée aux armes, ils devront lutter contre ces autres ennemis que sont le froid, la faim et la soif.
Les hommes devront donc porter tout le matériel lors des assauts : soit une boîte de ration K (soit un-tiers de ration journalière), un bidon d’eau, une toile de tente, une couverture, le F.M., le maximum de munitions pour le F.M., mitrailleuses, mortiers, grenades. Le P.C. du colonel Roux est fixé à l’observatoire de la cote 502.