Le général Juin a été avisé vers 3 heures 30 que tout le massif du Belvédère est aux mains des français, y compris Casale Abate.
Au même moment, le 2e corps d’armée américain piétine devant Cassino, alors que devant le front français, la ligne Gustav est enfoncée. Or, le C.E.F. n’a plus de troupes suffisantes pour maintenir la brèche ouverte. La 2e D.I.M. est sur le Carella et le Santa Croce, il n’est pas envisageable de la retirer de ces positions. Clark – visiblement surpris de la percée opérée par le 4e R.T.T. – a promis d’envoyer le 142e régiment d’infanterie américain en soutien (ce régiment mettra trois jours pour soutenir les Français, ce qui ne permettra pas d’exploiter l’enfoncement de la ligne Gustav réalisé par le 4e R.T.T.).
A nouveau, un crachin glacé s’abat sur les hommes à l’aube du 27 janvier 1944. Il est clair tant pour les tirailleurs que pour l’encadrement que si les positions prises demeurent non soutenues par les troupes américaines, les Allemands vont pouvoir organiser la contre-attaque.
En outre, tenir sans eau et sans vivres devient insupportable pour les hommes. Entre les pitons du Casale Abate et les pitons du Belvédère, le terrain forme une cuvette : il y a un point d’eau (qui avait été identifié par le lieutenant Jordy sur les photos aériennes avant le début des combats). Les commandants de bataillon interdisent aux tirailleurs de s’y rendre, compte tenu du danger. Certains n’y résistent pas. La soif devient plus forte que la peur. Les Allemands connaissent le point d’eau et attendent les tirailleurs assoiffés pour leur tirer dessus. Ainsi, une couronne de cadavres cerne le puits d’eau. Un tirailleur parvient à rapporter un bidon d’eau à ses camarades, de l’eau boueuse, mais peu importe.
Les Allemands déclenchent sans surprise la contre-attaque à 8 heures 30. A 10 heures, celle-ci s’amplifie et devient massive. Les Allemands sont en nombre très supérieur : trois soldats allemands pour un tirailleur français. Cette contre-attaque va se localiser en deux endroits : dans la vallée du Rio Secco afin d’isoler le 4e R.T.T. dans la montagne, puis, sur les sommets conquis par les Français.
Sur le Casale Abate, le sacrifice des hommes du 2e bataillon, encerclés et attaqués de toute part, va devenir irréversible. Léoni n’a plus qu’une centaine d’hommes valides. L’ordre est de tenir coûte que coûte et de fait l’anéantissement du 2e bataillon a commencé.
Les tirailleurs courageusement tiendront jusqu’à leur dernier souffle. Léoni crie : « A présent, on se bat pour l’honneur !« . Puis, il reçoit une balle en plein visage qui lui fracasse la mâchoire. Il continue de diriger le bataillon alors qu’il ne peut plus parler.
Extrait d’une lettre du sous-lieutenant Clément :
Il ne reste plus que 70 survivants qui reculent peu à peu vers le sommet de la cote 915.
Le sol est couvert de morts et de blessés. Les trois-quarts des cadres sont hors de combat, tous les commandants de compagnie sont tués ainsi que la plupart des chefs de section. Berne, blessé de trois balles, est parvenu à se réfugier dans un abri de bergers. Il aura la satisfaction d’avoir pu rejoindre son bataillon, bien que grièvement blessé. Il sera fait prisonnier.
Extrait du « Bataillon du Belvédère » :
Un officier s’avance. Il n’y a pas de haine dans son regard, mais de l’admiration. Il ne parle pas français :
—Tapfere Soldaten ! (Braves soldats !) …
Le capitaine Léoni jette, à quelques pas dans les rochers, son révolver vide. Le capital Trinquet laisse tomber de ses mains la dernière motte de terre que, par dérision, il se préparait à lancer à la figure des assaillants. Aujourd’hui, 27 janvier, à 11 heures 30, le 2e bataillon est au sommet de son calvaire.
A 11 heures 30 en effet, le 2e bataillon du 4e R.T.T. a totalement été anéanti par les Allemands.
Dans la vallée, le 3e R.T.A. (colonel de Linares) n’a pu établir à temps un barrage en amont de l’Olivella.
Les Allemands ont donc investi cette partie de la vallée. Le 4e R.T.T. est à présent isolé sur les pitons du Belvédère. Les tirailleurs n’ont ni bu, ni mangé, ni dormi depuis trois jours.
Le 1er bataillon (Bacqué) est en soutien sur les cotes 718 et 721 et jusqu’aux abords de 681.
Du côté du 3e bataillon, la cote 862 commence à être contournée par les Allemands à sa base. Gandoet a reçu l’ordre du colonel Roux de tenir la cote 862 à tout prix. Il transmet à son tour l’ordre à Jordy. La 10e compagnie (Louisot) et la 2e compagnie (Billard) protégeront les flancs de la cote 862. Gandoet envoie un agent de liaison auprès de Bacqué.
Le message est le suivant :
Bacqué et Gandoet prennent les mesures nécessaires : conserver l’O1 du 2e bataillon et du 3e bataillon (la cote 721 et la cote 681) et la croupe 382.
Les Allemands s’infiltrent également dans le Ravin Gandoet. Bacqué a fait mouvement sur la cote 382. Gandoet envisage alors un repli de la 11e compagnie sur 681 malgré les ordres de maintien de Monsabert et Roux. Les munitions manquent cruellement. Les mulets ne passent toujours pas malgré les demandes itérées des commandants de bataillons.
Extrait du « Bataillon du Belvédère » :
En fin de matinée, la contre-attaque allemande se concentre sur la 11e compagnie.
Extrait du carnet du capitaine Aygadoux :
L’attaque allemande c’est alors tournée vers Jordy. Minens, artillerie. Sur 681, suis invraisemblablement arrosé de minens. Blessés et tués partout. Impossible de les évacuer. On ne peut lever la tête. Notre artillerie est muette.
Pilonnage effrayant. Les Boches s’infiltrent de tous côtés. Vu casemate allemande à 300 mètres sous nos pieds et cinquantaine d’allemands qui nous tournent par le Rio Secco vers le sud.
A midi, le capitaine Aygadoux capte un SOS de Jordy :
Afin d’éviter la destruction de son bataillon, Gandoet donne l’ordre à Jordy de se replier de 862 vers 681 à 12 heures 40. Le même ordre est donné à la 2e compagnie et aux éléments de la 10e compagnie. Le capitaine Louisot est blessé par un éclat de mines. Les hommes de Jordy ramèneront neuf prisonniers.
Extrait du « Bataillon du Belvédère » :
Jordy s’est jeté à terre, plus qu’il ne s’est allongé, à côté du commandant Gandoet. Les balles piaulent et ricochent autour d’eux. Il n’y prend garde Un rictus plisse ses lèvres.
— C’est fini, mon commandant, lance-t-il sarcastique. Tout est là, tout le monde, tout le matériel. Plus rien sur 862. C’est du joli travail !
— Ne vous désolez pas, mon petit ! Vous avez fait votre devoir. Vous vous êtes battus comme un lion. Et puis ce n’est que pour un moment. On reviendra bientôt là-bas …
— In’ch Allah ! Et d’ailleurs si c’est pour le payer aussi cher ! »
Le commandant Gandoet donne l’ordre au capitaine Aygadoux de constituer un point d’appui sur la cote 681 et d’en prendre le commandement.
Les Allemands s’infiltrent sur la cote 862 et à 300 mètres de la cote 681. Jordy demande un tir sur les pentes sud de la cote 862 qui stoppe les infiltrations.
Extrait du carnet du capitaine Aygadoux :
Le tir de l’artillerie sur les crêtes qu’ils venaient de conquérir ainsi que le tir de barrage devant 681 doit y être pour quelque chose.
Les esprits sont devenus plus calmes. La 11e compagnie est revenue en place. Je continue à commander le poste avancé. Jordy est trop fatigué et le commandant veut qu’il se repose. La nuit ne sera pas un repos.
L’ennemi est à 200 mètres à notre gauche et tient les pitons à 400 mètres devant nous. Rondes. Les hommes sont écroulés de fatigue. La machine humaine a des limites.
Les chars de Bonjour se déploient au même moment dans la vallée et progressent en direction de l’Olivella dans les couloirs de Belmonte.
C’est un succès : une première charge est effectuée et le commandant Spangenberger fait plus de cent prisonniers allemands.
Le 3e R.T.A. est chargé de reprendre la cote 470. Le 7e R.T.A. est quant à lui en renfort du 1er bataillon.
Le colonel Roux a donné ses ordres : tenir coûte que coûte, quelles qu’en sont les conséquences, puis il prend la décision de rejoindre les hommes sur le Belvédère, accompagné du capitaine Galtier et du sous-lieutenant Guillaumeau. Partis en jeep vers 9 heures, ils sont arrêtés par un détachement d’allemands qui les font tous trois prisonniers avant l’Olivella.
Le colonel Roux fait aussitôt part à Galtier et Guillaumeau de son intention de s’évader compte tenu de la confusion entretenue par les combats et en particulier de l’attaque prévue du groupement Bonjour.
Vers 13 heures 30, face aux blindés français qui approchent, Roux somme aux Allemands qui l’ont fait prisonnier de se rendre. Il saute sur un Allemand et lui prend son fusil. Les Français se libèrent et s’enfuient vers une maison. C’est à ce moment que le colonel Roux est tué d’une balle ou d’un éclat d’obus. Le 4e R.T.T. n’a plus de commandant.
La nouvelle de sa mort se propage au sein du 4e R.T.T.
A 17 heures, la contre-attaque allemande a progressé et les cotes 862, 875 et 915 sont reprises aux Français.
Le sous-lieutenant Clément, blessé, est parvenu à s’échapper du Casale Abate. Le lieutenant Gaudin également, celui-ci a « fait le mort » pour échapper aux Allemands.
Après ces trois journées de combats, les pertes du 4e R.T.T. sont déjà très significatives. Le 1er bataillon a perdu le quart de son effectif. Le 2e bataillon a perdu la quasi-totalité de son effectif, à l’exception notable de la 7e compagnie (Tixier) qui occupe toujours la cote 700. Le 3e bataillon a perdu le tiers de son effectif. La 11e compagnie sur un effectif de 185 hommes n’a plus que 35 survivants.